mardi 7 mars 2023

Instants de manif

Strasbourg, 7 mars 2023

J'aime me promener en ville les jours de manif. En arrivant, on traverse des rues où la vie suit son cours, comme si de rien n'était.

Mais là rapidement, je vois la vitrine d'un traiteur qui a été couverte de peinture noire, entre les magasins Vuitton et autres marques de luxe. Pourquoi ? Quel lien avec les retraites ?

Puis je m'approche du lieu de départ. Premiers drapeaux, premiers gyrophares , et toujours des gens qui se baladent, indifférents.

Sur la place Broglie une pétition à signer pour un référendum sur les retraites.

Je marche au milieu des voies de tram, plus rien ne circule ici.

Des touristes interrogent des gens qui distribuent des tracts pour savoir ce qui se passe. Ils tentent de leur expliquer mais la barrière de la langue les empêchent de se comprendre.

Premiers chants qui viennent jusqu'à moi. "La retraite à 60 ans, on s'est battus pour la gagner, on se battra pour la garder".

"Les patrons, les patries, le patriarcat, cette société là, on n'en veut pas".
Ce sont les jeunes qui scandent ce dernier slogan.

Beaucoup de journalistes aussi, appareils photo autour du cou.

Sur les pancartes, c'est le bonheur qui est recherché, le travail malmené, Macron décrié :
  • Ici un sigle anarchiste,
  • Des Gaulois réfractaires en colère,
  • Non au travail à mort, 
  • Résistance,
  • 49-3, 47-1,
  • Primum non nocere,
  • Triez vos ordures, n'en faites pas des ministres.
  • Pourra-t-on enfin vivre après la mort ?
  • La France des milliards n'a qu'à mettre au pot,
  • Berceau boulot Tombeau,
  • Ton grand père c'est mon stagiaire, 
  • Retraitez nous correctement

Je tente de repérer les professions ou secteurs :
Architectes, enseignants, chômeurs, cheminots, ONF peut-être avec les tronçonneuses, infirmiers ("quitte à être saignés, autant que ce soit utile" sur leur pancarte), industries, métaux...

Un homme, la cinquantaine, bien sapé, dit à sa fille de 10/12 ans "Regarde les CRS, ils sont là avec leur tenue de Goldorak" et se moque ouvertement d'eux.

Tous les âges, du gris, du blanc, du blond, du brun, du noir, toutes les couleurs de cheveux se mélangent.

L'avant traverse la place Broglie, quand la fin n'a certainement pas encore démarré.

Je longe la manif à rebours, la place de la République est remplie. Un pétard fait sursauter la foule.

Arrivée rue de la liberté, eh bien on n'en voit pas le bout !

Ici on distribue des autocollants "personne n'a craqué".

La CFDT se fait voir et entendre, une longue ligne orange au son de "there is Magic in the air".

Maintenant FO en rouge, "chauffeuse de salle" sur le camion qui les harangue et les fait crier et chanter. "Tous ensemble, tous ensemble, grève générale".
"Yannick a préparé une playlist pour vous faire danser et chanter" dit elle tandis que la voix de Johnny la rejoint dans les hauts parleurs. "Allumer le feu" bien sûr. 

Sud industrie ensuite, puis le bleu de la CFTC, et l'autre nuance de bleu des UNSA : transport, ferroviaire et sûrement d'autres, je ne vois pas toutes les chasubles.

Ça se calme ici , je suis devant l'église Saint Paul. 15h05, la fin du cortège n'est pas partie. Au milieu du pont, seul, un homme alcoolisé chante. Un petit entrepreneur vendeur de café ambulant, propose son breuvage pour réchauffer les corps.

Ça y est, la fin du cortège se met en marche.

Je remonte le cortège, ça danse chez FO, sur "je suis en feu" de Soprano.

A la CFDT on est sur Gold, "laissez nous chanter", et on arbore des masques à l'effigie de Borne, Dussopt ou Macron. Ah, Madame qui porte le masque de Dussopt porte aussi une pancarte : "le nouveau suppo de Macron, 10 fois plus profond".

Pendant ce temps, la vie normale continue et une camionnette tente de traverser le cortège.

Ambiance calme , sourires sur les visages. 

Une pancarte m'intrigue :
"64 ans à Mathis, 65 ans à l'hospice". J'interroge un de ceux qui la portent. Il m'explique que Mathis c'est le lycée, qu'il y a plusieurs sections de profs de lycée qui se suivent dans le cortège, que ça commence à bouger.

Beaucoup d'enfants tiennent la main de leurs parents.

Je remonte la place Broglie. La CFDT s'ennuie certainement en fond de cortège et double par les voies de tram.

Un joueur de tambour un peu esseulé. Un peu plus loin un chanteur un peu seul crie dans son mégaphone "nous on bosse pour des quetsches, on ne peut pas l'accepter".

Je continue d'avancer, c'est enfumé dans la rue de la mésange. Ici c'est Grégoire, "toi + moi" qui sort d'un haut parleur. La foule avance, calmement. 

Les ouvriers d'un chantier, assis sur leur camionnette attendent que ça se vide pour partir j'imagine.

Je repasse devant le traiteur peint de noir. "Rends l'argent" a été ajouté. Vuitton a baissé le rideau et la vitrine est couverte d'autocollants. Les voix autour de moi déplorent toutes. "Ça décrédibilise le mouvement", dit-on.

Place de l'homme de fer, je n'ai pas atteint le début de cortège. Une sirène retentit.
Une jeune au téléphone dit à son interlocuteur qu'il n'y a que des vieux. Les pompiers stationnent à proximité, prêts. Bruits de pétards à l'avant mais je ne vois rien.

Place Kleber, une pancarte attire mon œil : "Hervé, 80 ans n'a pas tous ses trimestres, il aurait dû être sénateur".

Les galeries Lafayette sont repeintes en vert, couvertes de slogan anticapitalistes.

Des SDF regardent passer le cortège.

Les magasins sont ouverts. Seuls les magasins de luxe et banques sont visés par les tags.

Les pétards claquent toujours devant. 

La CGT chante toujours, "tous ensemble, tous ensemble eh. Quand il faut y aller, la CGT est là".

Je n'ai toujours pas réussi à rattraper le début de cortège... Je n'en suis qu'aux tronçonneuses . Des points de vue s'échangent au gré du cortège, on se tape sur l'épaule.

"Vélo, boulot, tombeau" affichés sur un mur.

Beaucoup de gens regardent passer le cortège. D'autres tracent leur route , indifférents. Mais c'est peut être l'impression que je donne aussi, les yeux sur mon téléphone.

J'ai rattrapé les jeunes. Ça danse derrière un camion, au son d'un reggae électro. Les basses font trembler les alentours. Chez les jeunes toujours, banderole "Marx attacks".

C'est difficile de progresser ici, même les trottoirs sont blindés de monde.
"Jeunesse précaire, capitalistes prospères, de cette société on ne veut pas".
Drapeau d'Action antifascistes Strasbourg, ça chante "ça va péter". Beaucoup sont tout en noir, capuches et masque. "Nous sommes en guerre sociale, contre le capital".

Plus de dégradations ici par contre.

En approchant du quai des pêcheurs, j'ai atteint la tête de cortège, devancé par quelques policiers. Ça parle politique. Ou bien de toute autre chose. "Bolloré, Canal plus et leur propagande".

Ici, tous les syndicats sont mêlés. C'est le seul endroit. Il y a des gilets de toutes les couleurs.

Assez improbable, un couple pas tout jeune, seul sur un trottoir et qui scandent des slogans anticapitalistes en distribuant des autocollants.

Les journalistes se croisent et se saluent. Les policiers gèrent les déviations. Les trams et les voitures circulent malgré tout.

La cathédrale, imperturbable, veille sur les manifestants qui remontent tranquillement le long de l'Ill.

"Siamo tutti antifascisti", entonnent les jeunes en se dirigeant vers la place de la République.

"Macron démission" est tenté en tête de cortège, mais sans grand succès. On s'arrête un long moment.

Beaucoup de monde sur le pont regarde la longueur du cortège (dont on est loin de voir la fin).

La marche reprend, certains commencent à se disperser.

Un rayon de soleil accompagne l'arrivée. Le calme était revenu mais ça recommence à chanter derrière.

Un homme se demande "je ne sais pas ce qu'ils vont faire" .
C'est exactement ça... 
Et maintenant ?

La musique résonne toujours, les jeunes dansent toujours. On se regroupe pour la photo finale. Les abords du TNS deviennent une boîte de nuit. On bouge au son de la techno.

La foule se disperse tout doucement. Je m'éloigne à mon tour, les jambes plus lourdes des quelques kilomètres piétinés.

Retour à cette sensation de décalage en retrouvant les rues de la ville qui sont redevenues calmes. Les CRS nous interdisent de prendre le pont vers la place Broglie, allez savoir pourquoi...

D'autres CRS un peu plus loin boivent un café en riant. Ça démontre, s'il en est besoin, l'ambiance bon enfant de cette manif.

Les cyclistes klaxonnent les manifestants qui s'aventurent sur la piste cyclable, des enfants crient dans une cours d'école toute proche, le réel reprend ses droits...

Fin de la parenthèse.




























samedi 19 février 2022

Week end en amoureux

 


*

 

Elle écoutait son mari avec la plus grande attention, ou plus exactement, elle faisait mine de l’écouter, mais elle n’aurait pas été capable de répéter un des mots qu’il venait de prononcer. Elle se contentait de le regarder. Après 15 ans de mariage, elle le trouvait toujours aussi séduisant. Ils avaient rarement le temps de se poser tous les deux, et là, elle avait juste envie de profiter du moment présent. Elle observait sa bouche fine remuer au rythme de sa conversation, ses dents si imparfaites qu’il s’en plaignait toujours bien que, selon elle, elles ne gâchaient pas l’ensemble, ses yeux sombres qui exhalaient pourtant une lumière intense, sa mèche maintenant grisonnante qui continuait de retomber sur son front avec la même insistance que quand ils avaient 30 ans.

Quand elle eut fini de relever chacun de ses traits, ses yeux s’égarèrent dans la salle du restaurant dans lequel ils dinaient.  Elle l’avait invitée ici à la fois pour son anniversaire et pour la Saint -Valentin qui tombaient le même jour. Elle avait choisi ce lieu car il aimait les vieilles pierres, les endroits chargés d’histoire. Il était servi ici. L’hôtel-restaurant était au cœur du château du Haut-Barr, sur les hauteurs de Saverne. Ils y avaient souvent randonné quand ils étaient plus jeunes, mais n’y étaient que rarement remontés depuis. Après quelques kilomètres de routes sinueuses au départ du centre de la petite ville bas-rhinoise, on atteignait les ruines de cet immense château, posé sur trois rochers de grès rose. Ils en avaient fait le tour cet après-midi, malgré le froid piquant. Le soleil qui régnait encore leur avait permis d’admirer la vue imprenable sur la plaine d’Alsace. Ils avaient pu apercevoir Strasbourg et la flèche de sa cathédrale pointant dans le ciel ou encore les formes imprécises des montagnes de la Forêt noire. Elle n’avait que peu apprécié la traversée du pont du diable, cette passerelle qui reliait deux pans du château. Entre la légende que lui avait contée son mari un peu plus tôt, et son vertige habituel, elle se serait bien passée de la parcourir, mais elle avait dû suivre Brice qui s’amusait comme un gamin de la voir effrayée.

Il y avait peu de monde dans le restaurant. Elle s’étonna de ne pas voir plus de couples. C’était surprenant pour un 14 février. Mais peut-être que les amoureux du coin n’avaient pas envie de monter à presque 500 mètres d’altitude, alors qu’une tempête de neige était annoncée pour la nuit. Personnellement, ça ne l’effrayait pas. Elle espérait seulement que les services météo avaient vu justes et que, comme ils le prévoyaient, la neige deviendrait de la pluie dans le courant de la nuit. Ainsi, les routes seraient praticables le lendemain et ses projets ne tomberaient pas à l’eau.

Au fond de la pièce, elle observa un jeune couple. Ils riaient, s’embrassaient par-dessus la table, se tenaient la main. Comme c’est beau l’amour fougueux de la jeunesse, pensa-t-elle. Un peu plus loin, un petit groupe de personnes d’une cinquantaine d’années. Un homme seul. Une jeune fille au bar. Voilà tous les clients du soir. Elle regarda la fille. Elle était très jolie. Elle ne pouvait voir que son profil, mais cela suffisait, d’autant que la fille se retournait régulièrement. Leurs regards se croisèrent à deux reprises alors Mathilde se concentra à nouveau sur son mari. Elle ne voulait surtout pas se faire remarquer. La femme du bar se retourna une nouvelle fois. Mathilde perçut la voix de Brice.

Tu ne m’écoutes pas en fait ?

Excuse-moi, murmura-t-elle. C’est cette fille. Elle n’arrête pas de me regarder. Ça fait au moins trois fois qu’elle se tourne vers nous.

Mathilde, tonna son compagnon. Si tu me regardais plutôt que de la regarder elle, tu ne te serais pas rendu compte de quoi que ce soit. On n’est pas censés passer une soirée en amoureux ?

Bien sûr, mon chéri. Je suis désolée.

Brice se retourna à son tour et aperçut la fille.

Elle est très jolie, souffla-t-il.

Mais, s’offusqua Mathilde. Tu es gonflé !

Brice éclata de rire.

Elle aimait son rire qui restait enfantin alors qu’il fêtait aujourd’hui ses quarante ans. Il prit sa main qui était posée sur la table.

Allez, oublie cette fille. On ne la connaît pas, et c’est réciproque. Il n’y a aucun risque.

Elle soupira. À cet instant, le couple de jeunes amoureux passa derrière leur table en riant. Ils avaient remis leurs vestes et s’apprêtaient à sortir. Mathilde en profita pour changer de sujet.

Où est-ce qu’ils comptent aller à ton avis ? Ils ont mal choisi leur moment pour une promenade !

Après le soleil de la journée, la dépression neigeuse annoncée était arrivée et par les grandes baies vitrées qui s’ouvraient en face d’eux, Mathilde et Brice pouvaient voir de gros flocons virevolter autour des lampadaires qui peinaient à éclairer le parking. De fortes rafales de vents agitaient les branches des sapins et des arbres de la forêt environnante.  

Ils sont jeunes, qu’ils en profitent, répondit Brice. À leur âge, affronter une tempête de neige un soir de Saint-Valentin ne nous aurait sûrement pas effrayés.

Tu as raison, approuva Mathilde en soupirant.

Allez, ma vieille, commandons un dessert et ensuite, nous irons nous mettre au chaud sous notre couette, si tu vois ce que je veux dire, ajouta-t-il avec un clin d’œil. Je n’ai plus 20 ans, mais il y a des choses que je suis toujours prêt à affronter avec toi !

Il appela le serveur qui vint prendre leur commande.

 

*

 

Ils terminaient leur dessert quand la porte donnant sur l’extérieur s’ouvrit à la volée, laissant entrer une bourrasque de neige et un air glacial. La jeune fille qui était sortie un peu plus tôt avec son ami entra en criant. Elle était couverte de neige. Ses joues étaient rougies par le froid. Elle ne portait ni gants ni de bonnet.

Aidez-moi, cria-t-elle. Aidez-moi. Il a poussé Matthieu, il a poussé Matthieu. 

Il ne restait que peu de monde dans le restaurant. Le patron, inquiété par le bruit, sortit des cuisines et se dirigea vers la fille. Brice se leva et le rejoignit. La jeune femme du bar s’était également approchée. Mathilde se joignit à eux. Les autres ne bougèrent pas.

Qu’est-ce qui vous arrive jeune fille ? demanda le patron d’un ton bourru qui s’accordait bien avec son physique.

Il était grand, costaud. Quelques rares cheveux gris se battaient sur son crâne. Si son ton était débonnaire, son regard gris perçant trahissait une certaine inquiétude.  La jeune fille pleurait. Elle peinait à reprendre son souffle. Le serveur, qui avait refermé la porte, revint vers le groupe avec une chaise et la fit asseoir.

Dites-nous ce qui s’est passé, souffla-t-il. Où est votre ami ?

Il, il … il l’a fait tomber, j’en suis sûre !

Ressaisissez-vous mademoiselle, gronda le patron avec une certaine impatience. Si vous voulez qu’on vous aide, il faut être plus claire.

 

La jeune femme qui avait passé sa soirée au bar, le fusilla du regard.

Vous ne voyez pas qu’elle est sous le choc ? Ce n’est pas en lui criant dessus qu’elle va vous répondre.

Elle a raison, approuva Mathilde en s’accroupissant devant la fille et en lui parlant avec douceur. Essayez de nous expliquer ce qui se passe. Votre ami est tombé, c’est ça ?

La fille lui répondit par un signe de tête.

Où étiez-vous ?

Il a voulu monter sur le pont du diable. Je lui ai dit que c’était une mauvaise idée. Les marches étaient couvertes de neige. J’ai pas voulu y aller, mais lui y tenait. Il m’a dit de le filmer d’en bas. Il est monté sans difficulté. Il m’a fait signe depuis le pont. J’ai filmé mais je ne voyais pas grand-chose tellement y a de neige qui tombe.

Un sanglot lui coupa un instant la parole. La femme du bar l’invita à continuer.

Et ensuite ?

Ensuite il a continué à traverser. Et puis, j’ai vu passer une… une ombre sur le pont, j’en suis sûre. Et après, j’ai entendu Matthieu crier. Et puis plus rien.

Vous filmiez encore quand ce quelqu’un a traversé le pont ?

Non, j’avais trop froid. J’ai… j’ai rangé mon téléphone. Mais je suis sûre qu’il y avait quelqu’un.

Vous êtes sûre que ce n’était pas votre ami que vous avez vu retraverser le pont ? demanda le patron de l’hôtel.

Mais vous êtes bête ou quoi ? cria la fille, complètement paniquée. Je vous ai dit que je l’ai entendu hurler. Jusqu’à ce que j’entende un énorme bruit. Il est tombé. Il est mort. Et c’est quelqu’un qui l’a poussé.

Le groupe échangea des regards interloqués. Mathilde et Brice savaient tous deux ce que l’autre pensait. Ils s’éloignèrent pour échanger quelques mots :

C’est bien notre veine, soupira Mathilde.

Tu m’étonnes, pesta Brice. Je vais aller voir. Si on le retrouve, on pourra peut-être éviter qu’ils appellent la cavalerie.

Mais tu es dingue ! Toi aussi, tu veux risquer une chute ? Tu as vu le temps qu’il fait ?

Tu as une meilleure idée ?

Mathilde secoua la tête d’un air dépité.

Si on ne le retrouve pas, je ne donne pas cinq minutes avant que le patron appelle pompiers et gendarmes. Je vais y aller.

Alors je t’accompagne, répondit-elle.

Il approuva et ils retournèrent vers le groupe.

Écoutez, lança-t-il. Nous sommes pompiers tous les deux. On a l’habitude de ce genre de situation. Vous allez vous occuper d’elle. Si quelqu’un a un calmant, un médicament pour dormir, qu’on lui en donne un pour l’apaiser un peu. On remonte dans notre chambre pour nous habiller, et on part à sa recherche. Est-ce que vous avez des lampes torches ? demanda-t-il au patron.

L’homme s’éloigna tout de suite pour en chercher. Brice avait l’habitude d’être obéi. Sa stature, sa voix grave et ses yeux rieurs donnaient confiance à ses interlocuteurs. Mathilde lui disait toujours que l’expression « On te donnerait le bon dieu sans confession » avait été inventée pour lui. Il pouvait tromper n’importe qui.

Le couple se dirigea vers sa chambre. Ils enfilèrent des vêtements chauds.

Bien vu le coup des pompiers, gloussa Mathilde. C’est une couverture idéale. Tout le monde fait confiance aux pompiers.

C’est la première chose qui m’est venue à l’esprit. Je me suis dit que ça leur passerait l’envie de nous accompagner. J’ai pas envie de m’encombrer d’un gars qui voudrait jouer les héros et nous ralentirait. Ça me soule déjà assez de devoir sortir par ce froid !

Une fois habillé, il s’agenouilla et fouilla dans un des sacs qui contenaient leurs effets. Il en sortit une arme, un petit pistolet noir, semi-automatique qu’il glissa à sa ceinture.

Tu es sûr ? demanda-t-elle. Si quelqu’un te voit avec ça !

On ne sait jamais. Si la gamine a raison et qu’il y a un type qui rôde là-dehors, je préfère être prévoyant. Je n’ai pas envie de te perdre, ajouta-t-il en plaquant sur ses lèvres un dernier baiser. Allez viens, allons chercher ce petit jeune. 

Ils repassèrent par la salle du restaurant pour récupérer les lampes torches. La jeune fille était toujours assise sur une chaise. Elle pleurait en silence. Le serveur et la femme du bar lui tenaient compagnie. Cette dernière se leva et rejoignit Brice et Mathilde. De manière incongrue, elle leur serra chaleureusement la main, gardant celle de Brice entre les siennes juste un peu trop longtemps, et dit :

Je m’appelle Alexandra. Je lui ai donné un de mes somnifères. Je fais de grosses insomnies, alors ils sont supers forts, ils pourraient assommer un cheval, poursuivit-elle en souriant. D’ici un quart d’heure, elle dormira comme un bébé. Essayez de retrouver son gars, mais faites attention à vous !

Le couple approuva et se dirigea vers l’extérieur. Le froid glacial les transperça dès qu’ils eurent passé la porte. Ils ne voyaient pas à deux mètres. Les flocons tombaient drus. Ils étaient parfois balayés par des bourrasques. Ils firent quelques pas en direction des escaliers métalliques qui menaient au pont du diable. En son for intérieur, Mathilde ne put s’empêcher de s’inquiéter pour la suite du weekend. Si la tempête ne faiblissait pas, tout serait remis en cause.

Le vent soufflait fort et ils avançaient difficilement. Quand ils furent au pied de l’escalier, Brice se pencha vers elle et cria pour se faire entendre :

Mais quelle idée il a eu de vouloir monter ! C’est de l’inconscience ! On ne va même pas essayer, on va plutôt contourner le rocher par en bas. S’il est tombé, on le trouvera forcément.

Mathilde éclairait le sol de sa lampe. Devant eux, ils voyaient des traces de pas, peu à peu recouvertes par la neige fraichement tombée. 

Regarde, je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu plus de deux personnes qui soient passées ici récemment. Or, c’est le seul endroit qui permette de rejoindre le pont.

Son mari approuva puis se remit à avancer, luttant contre le froid et la neige dont les flocons cinglants fouettaient ses joues.  Ils progressèrent tant bien que mal, se frayant un passage dans la quinzaine de centimètres de neige qui était tombée depuis le début de soirée.

Ils ne trouvèrent plus aucune trace de pas. Mathilde glissa à plusieurs reprises. Ils n’étaient pas équipés pour affronter une longue marche dans ces conditions. Après une bonne demi-heure, ils ne savaient pas du tout où ils en étaient. Brice se rendait compte que plus ils avançaient, plus ils risquaient de s’égarer. Il ne voyait pas à plus d’un mètre. Les chances de retrouver le garçon dans ces conditions étaient infimes. Il vaudrait mieux revenir le lendemain, quand il ferait jour. De toute façon, pensa-t-il, si vraiment il est tombé depuis le haut du château, il y a très peu de chances qu’il s’en soit sorti. Il fit volte-face, expliqua tout cela à Mathilde qui approuva et ils rebroussèrent chemin.

Ils étaient revenus à la hauteur des escaliers quand Brice aperçut des silhouettes dans le brouillard blanc. Même s’il voyait des faisceaux de lumières s’agiter dans leur direction, il porta sa main libre à son arme. Le contact du métal, malgré le gant qui l’en séparait, le rassura. Il fit signe à Mathilde de ralentir et s’avança avec prudence. Quand il fut suffisamment près, il reconnut son prénom et celui de sa femme. Aucun doute, les voix les appelaient. Il lâcha son pistolet. Pour la discrétion, on repassera, se dit-il. Il imaginait que le propriétaire des lieux avait vérifié leur nom sur leur réservation afin de partir à leur recherche.

Quelques instants plus tard, le couple se retrouva bouche-bée. Devant eux, se tenaient le patron du restaurant, le serveur, un client et le jeune homme qu’ils étaient partis chercher un peu plus tôt. Brice vit rouge.

Qu’est-ce que … Qu’est-ce que tu fais là ? lança-t-il au jeune homme.

Il était passé au tutoiement sans réfléchir. Il sentait la colère monter en lui. Le gamin, sautillant d’un pied sur l’autre, visiblement frigorifié, se contenta de répondre :

Rentrons, je vais vous expliquer !

Ils s’exécutèrent et remontèrent en file indienne jusqu’au restaurant. Une fois à l’intérieur, ils secouèrent la neige qui s’était accumulée sur leurs vêtements et chaussures. Alexandra se précipita vers eux :

Vous êtes là ! Comme je suis soulagée ! J’avais peur qu’il vous soit arrivé quelque chose.

Elle posa sa main sur le bras de Brice qui lui sourit bêtement. Elle était vraiment jolie. La trentaine, moulée dans un jean et un pull très serrés qui laissaient apparaître chacune de ses courbes, elle avait un regard bleu azur et de longs cheveux blonds qui tombaient en cascade sur ses épaules.

Mathilde vint se positionner à proximité de son mari, sans que cela éloigne la femme. Mais Brice s’en désintéressa vite. Il regarda le gamin qu’ils étaient partis sauver un peu plus tôt.

Est-ce que quelqu’un peut nous expliquer ?

Le jeune gardait la tête baissée. Il était piteux et semblait très mal à l’aise. C’est le patron du restau qui prit la parole :

Allez jeune homme, expliquez donc à ces personnes qui sont sortis dans la tempête pour vous chercher ce qu’il s’est passé.

D’accord, d’accord, bredouilla-t-il. Je suis désolé, ok. J’ai juste voulu faire une blague à ma copine.

Pardon ? demanda Brice, dont les joues déjà rougies par le froid allaient virer au violet.

On a fait un tour dehors. Je suis monté sur le pont, je l’ai traversé, j’allais redescendre quand je me suis dit que ce serait marrant de faire une blague à Lorie. J’ai retraversé le pont à quatre pattes, puis une nouvelle fois en courant, pour qu’elle croie qu’il y avait quelqu’un d’autre. Ensuite, j’ai crié, comme si je tombais.  J’étais mort de rire quand je l’ai entendue hurler. Je suis resté planqué un petit moment avant de rentrer à l’hôtel. Je vous ai entendus en bas des escaliers, mais je ne savais pas que vous me cherchiez.

Je ne sais pas ce qui me retiens de t’en mettre une, grogna Brice.

Allons, allons, calmons-nous, souffla Alexandra. Venez, je vais vous préparer un café ou un chocolat pour vous réchauffer.

Elle jeta un coup d’œil au serveur pour lui demander l’autorisation de passer derrière le bar. Il était visiblement lui aussi sous le charme de la belle et approuva. Elle emmena Brice, qu’elle fit asseoir sur un tabouret avant de se glisser derrière le bar. Mathilde, sidérée, trottinait derrière eux.

Le jeune, toujours penaud, murmura :

Je vais vous laisser moi. Je vais rejoindre ma copine.

 

Il s’éclipsa sans demander son reste. Brice demanda :

Où est la gamine ?

On l’a montée dans sa chambre. Elle ne sait même pas qu’il est revenu sain et sauf, expliqua le serveur. Elle dormait à poings fermés avant qu’il ne revienne. Le somnifère de madame a été efficace.

Je vous avais dit qu’il pouvait assommer un cheval, répéta-t-elle en riant.

Mathilde se renfrogna. La femme l’agaçait. Elle sentait bien que Brice n’était pas insensible à son charme. Et aucun autre homme d’ailleurs. Elle était la seule à ne pas la regarder avec béatitude. Pour autant, ni Mathilde ni aucun homme ne remarqua qu’elle versait autre chose que du café ou du chocolat dans les tasses qu’elle prépara.

 

*

 

Un peu plus tard, Mathilde, toujours de mauvaise humeur réussit à décrocher Brice de son tabouret. Il avait passé un bon moment. Sa colère s’était dissipée à chaque mouvement de hanche de la jolie demoiselle, qui avait couvé chacun des hommes de l’assemblée d’attentions. Ils avaient fini par rire de l’anecdote du garçon faussement disparu. Seule Mathilde avait trépigné. Quand enfin, Brice daigna la suivre, elle était furieuse.

Elle claqua la porte de la chambre derrière elle.

Merci pour cette soirée. Je t’inviterai plus souvent à des week-ends en amoureux.

Allons, ma chérie, ne te fâche pas. On s’en souviendra de cette soirée ! J’étais énervé au début, mais quand on y repense, c’est plutôt drôle.

Je me demande de quoi tu te souviendras le plus ? Des beaux yeux d’Alexandra ou de notre épopée dans le froid ?

Quoi, dit Brice en riant. Tu es jalouse ?

Pas du tout, rétorqua Mathilde avec mauvaise foi. Mais il faut bien avouer que tu as passé ton temps à la regarder sous toutes ses coutures.

Mais, pas du tout !

Brice accrocha sa veste sur une patère, enleva ses chaussures, puis son pull et son tee-shirt. Il se plaça face à sa femme dont les yeux lançaient des éclairs. Il tenta de l’entourer de ses bras, mais elle ne lui résista. Malgré tout, la vue du torse nu de son mari, l’odeur et la chaleur qu’il dégageait, commençaient déjà à faire baisser ses défenses. Elle lui tourna le dos.

J’adore quand tu es jalouse, murmura-t-il langoureusement.

Et moi je déteste quand tu m’ignores totalement comme tu l’as fait ce soir.

Mais je ne t’ai pas ignorée ma chérie, je ne voyais que toi. C’est toi qui t’es focalisée sur cette femme.

N’essaie pas de m’amadouer, ça ne marchera pas, murmura-t-elle.

Il se glissa contre elle. Elle ne bougea pas. Il posa une main sur sa hanche et elle ne put réprimer un frisson. Il déposa un baiser dans son cou et glissa à son oreille :

Tu es tellement belle quand tu es fâchée.

Sa main passa de la hanche de sa femme à sa poitrine, glissant sous son pull sans qu’elle n’oppose plus aucune résistance ni ne tente de s’éloigner. Il fit passer toutes les couches qu’elle portait par-dessus ses épaules, dévoilant son torse maintenant juste vêtu d’un soutien-gorge qui ne fit pas long feu lui non plus. Mathilde était vaincue. Elle ne résistait pas aux charmes de son mari. Elle se retourna et l’embrassa avec fougue. Il la porta jusqu’au lit. Les pantalons rejoignirent au sol le reste des vêtements. Ils firent l’amour, puis s’écroulèrent, épuisés.

Brice venait de se tourner sur le côté quand une pensée traversa son esprit endormi. Il murmura :

Mon pistolet ?

Et il sombra dans un sommeil profond.

*

 

Mathilde eut du mal à ouvrir les yeux. Ils étaient encore lourds de sommeil, elle avait l’impression de ne pas avoir dormi. Elle tenta de s’étirer. Quand elle sentit qu’elle était entravée, elle se réveilla brusquement. Elle ne pouvait bouger ni les mains ni les jambes, ni le corps tout entier d’ailleurs, et n’était visiblement pas dans un lit. Pourtant elle se rappelait bien s’être couchée dans sa chambre la veille au soir. Était-ce la veille ? Combien de temps avait-elle dormi ? Elle n’en avait aucune idée.

Elle regarda autour d’elle. Elle était effectivement sur une chaise et non dans un lit, et dans une cave plutôt que dans sa chambre d’hôtel. Une corde blanche en nylon l’entourait de la poitrine aux chevilles, bloquant ses bras le long de son corps et l’empêchant de faire le moindre mouvement.  Elle se rendit compte qu’elle avait des fourmis dans les mains et tenta de les bouger, mais put seulement agiter les doigts. En face, elle voyait des murs en grès rose, taillés directement dans la roche, ce qui lui fit supposer qu’elle était au sous-sol de l’hôtel.

Il y avait tout un tas de vieux meubles qui traînaient un peu partout dans la pièce, dont un buffet en bois sculpté de motifs alsaciens. Un miroir ornait la partie centrale. Il était piqué et ne permettait pas de distinguer nettement ce qu’il y avait derrière elle, mais Mathilde aperçut une entrée qui s’ouvrait dans un des murs et semblait mener à des escaliers. Elle sursauta quand elle se rendit compte que de l’autre côté, il y avait quelqu’un derrière elle.

Elle tourna prestement la tête, mais comprit vite qu’elle n’était pas en danger immédiat. Le patron de l'hôtel gisait, assis et ligoté sur une chaise lui aussi. Sa tête tombait sur sa poitrine. Il n’était pas mort puisqu’elle voyait sa grosse bedaine monter et descendre au rythme de sa respiration, ralentie par le sommeil profond dans lequel il se trouvait. Un ronflement vint troubler le silence. La tête du type s’agita un instant puis retomba mollement.

Mathilde essaya de remettre de l’ordre dans ses idées. Que s’était-il passé ? Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Elle se remémora la soirée, la disparition des jeunes ; la fille qui se frottait contre Brice ; le verre qu’ils avaient bu tous ensemble, puis l’intimité de leur chambre. Ils avaient fait l’amour et s’étaient endormis. Elle avait l’impression qu’un détail lui échappait. Elle fut interrompue par des bruits de pas qui descendaient l’escalier. Des talons cognaient contre la pierre des marches. Une femme entra dans la pièce, elle portait un pantalon noir très près du corps et un chemisier blanc presque transparent qui ne cachait rien de son soutien-gorge rose pastel. Ses longs cheveux blonds voletaient derrière elle à chacun de ses mouvements gracieux.

Mathilde fut à peine surprise en la voyant arriver. Elle l’avait trouvée louche depuis le début. Ses regards insistants pendant le repas, sa façon de se coller à Brice...

Alexandra s’adressa à Mathilde en ricanant :

Je vois que Cendrillon est réveillée. La nuit fut bonne ?

C’était la belle au bois dormant, répondit Mathilde sans se démonter.

Elle avait l’habitude de se retrouver dans des situations compliquées, et ce n’est pas cette pimbêche qui allait lui faire peur.

Pardon ?

Elle n’a pas compris… Est-elle stupide ou veut-elle me le laisser croire ? se demanda Mathilde avant d’expliquer :

C’est la belle au bois dormant, la princesse endormie. Cendrillon ne dort pas dans le conte qui lui est consacré.

Alexandra balaya la remarque de la main.

Ne joue pas à la plus maline avec moi, ma grande, souffla-t-elle.

Elle passa sa main dans son dos et mit un pistolet sous le nez de Mathilde. Celle-ci le reconnut aussitôt et le détail qui lui avait manqué un peu plus tôt lui revint en mémoire. Juste en s’endormant, Brice avait demandé où était son arme. Aucun des deux n’avait réagi, malgré le risque que cette disparition faisait peser sur eux. Ils s’étaient endormis, assommés. Elle nous a drogués, se dit Mathilde. C’est pour ça qu’elle a voulu se charger de faire des cafés et des chocolats.

Où est Brice ? demanda Mathilde.

Oh, ne t’inquiète pas pour lui. Il doit encore dormir comme un bébé à cette heure. Je lui avais mis une dose un peu plus costaud que la tienne. Je n’ai pas besoin qu’il se réveille, bien au contraire. Et quand on en aura fini toutes les deux, j’irai le rejoindre dans sa chambre. Il est absolument charmant ton mec. C’est à se demander ce qu’il peut te trouver.

Elle détailla Mathilde de haut en bas puis continua :

Regarde-moi ces cheveux mal coupés, cette peau mal entretenue qui vieillit très mal. Tes seins qui tombent. Et cet accoutrement ! C’est comme ça que tu t’habilles pour passer un week-end en amoureux avec ton mari ?

Elle éclata d’un grand rire cristallin. Mathilde se rendit compte qu’elle était encore en pyjama. Elle portait un short et un tee-shirt en soie mauve. Elle frissonna, comme si le fait de lui rappeler sa tenue suffisait à lui faire réaliser qu’elle avait froid. Le rire de la fille réveilla le patron. Il s’agita sur sa chaise. Les deux femmes se tournèrent vers lui, Mathilde étendant son cou autant qu’elle le pouvait vu que rien d’autre chez elle n’était en mesure de bouger.

Alexandra s’approcha de l’homme.

Alors mon gros nounours, lança-t-elle en faisant glisser l’arme le long du cou du gars qui était maintenant complètement réveillé et semblait terrorisé. On a bien dormi ?

Qu’est-ce que ? Qu’est-ce que vous me voulez, bredouilla-t-il ?

Elle attrapa le dos de la chaise de Mathilde et la traîna vers l’arrière pour la positionner à la même hauteur que celle de l’homme, presque contre le mur du fond. Puis elle se plaça face à eux.

Aucun de vous deux ne me reconnaît, n’est-ce pas ? Il faut dire que j’ai toujours dû n’être pour vous qu’une quantité négligeable ! 

Mathilde était complètement perdue. Elle ne comprenait pas ce qu’elle faisait là. Beaucoup de choses se bousculaient dans sa tête. Elle devait se concentrer sur un moyen de s’échapper plutôt que de chercher à comprendre qui était cette femme et ce qu’elle lui voulait. Mais elle ne pouvait s’empêcher d’échafauder des hypothèses. Visiblement, elle n’en avait qu’après elle. Brice ne rentrait pas dans ses plans. Ce qui était étrange car il y avait bien longtemps qu’ils suivaient leurs affaires ensemble.

La femme faisait les 100 pas devant eux.

Vraiment ? Vous n’avez pas d’idée ?

Soudain, elle porta une main à son front et fit glisser sa chevelure blonde à ses pieds. Puis, d’une main agile, elle ôta les lentilles qui rendaient ses yeux si bleus. Cela n’aida pas Mathilde qui ne voyait pas non plus qui pouvait être cette grande brune. En revanche, son voisin d’infortune sursauta et maugréa :

C’est toi Sofia ?

Bravo ! Tu vois quand tu veux, s’écria-t-elle.

Comme pour saluer la trouvaille du type, elle lui balança un coup de pied dans le tibia qui le fit hurler. Il faut dire qu’elle avait utilisé son talon pour frapper et avait visé juste en dessous du genou. Mathilde imaginait bien la sensation que cela pouvait procurer.

Vas-y, crie autant que tu veux ! Personne ne peut t’entendre. Tout le monde dort dans ton putain d’hôtel. Ces deux jeunes cons m’ont vraiment facilité la tâche hier. Grâce à eux, vous faire avaler des somnifères fut un jeu d’enfant !

L’homme semblait paniqué. Ça ne rassurait pas Mathilde qui ne voyait pas comment elle allait pouvoir se sortir de cette situation. Elle tenta de garder son calme et décida finalement qu’il lui fallait d’abord comprendre ce qu’elle faisait là. Ainsi, elle pourrait peut-être négocier.

Qu’est-ce que tu veux Sofia ? bredouillait l’homme. De l’argent ? Tu veux de l’argent ?

Ah oui, tu m’en proposes maintenant ? s’écria la femme. Tu t’es tout approprié il y a dix ans, tu as repris ta petite vie comme si de rien n’était. Et tu croyais vraiment que j’allais laisser passer ça ? Tu l’as tué !

Mais non, je ne l’ai pas tué, se défendit l’homme d’une toute petite voix. C’est elle qui l’a tué, ajouta-t-il en désignant Mathilde du regard. Je le sais, je l’ai reconnue tout de suite quand elle est entrée dans l’hôtel hier. C’est fou quand même. Il a fallu qu’elle vienne me retrouver jusqu’ici. Cette garce ! Si elle n’était pas venue fourrer son nez dans nos affaires, Ellie serait toujours en vie.

Ferme-là, hurla Alexandra/Sofia. Je sais qu’elle est fautive, c’est bien pour ça qu’elle est là. Mais c’est toi qui as appuyé sur la détente, ça, je le sais aussi.

Des larmes coulaient sur son visage, faisant dégouliner son maquillage sur ses joues agitées de soubresauts. Mathilde avait toujours l’impression d’assister à une scène qui ne la concernait pas. Visiblement, ces deux personnes la connaissaient et lui en voulaient. Elle ne voyait pas qui ils étaient. La fille avait parlé d’il y a dix ans. Elle tenta de se remémorer ce qui s’était passé en 2010.

Elle fut sortie de ses pensées par une forte détonation. Le tir résonna dans la cave, le son se répercutant d’un mur à l’autre. Il fut suivi d’un cri de douleur. Mathilde regarda avec hébétude l’homme. Elle lui avait tiré une balle dans la jambe. Cette femme est déterminée, pensa Mathilde avec inquiétude. Je ne sais pas comment je vais pouvoir me sortir de là. Elle commençait à sérieusement s’inquiéter. Elle jeta un œil à l’homme. Le sang coulait de la plaie béante. Il s’agitait sur sa chaise, mais ne pouvait rien faire. Il se mit à sangloter. Mathilde reporta son regard sur la femme quand la voix faible du patron du restau se fit entendre :

Je suis désolé Sofia. Je regrette, vraiment. Mais je n’avais pas le choix. On serait tombé tous les deux.

Vous seriez tombés, mais il ne serait pas mort.

Mathilde intervint. Elle s’évertua à parler avec calme, de la voix la plus douce dont elle était capable.

Excusez-moi. Est-ce que vous pouvez m’expliquer de quoi il s’agit ? J’aimerais pouvoir vous reconnaître, mais ce n’est pas le cas, j’en suis désolée.

Bien sûr que tu ne te souviens pas de moi. Nous avons dû nous croiser à peine quelques minutes.  Moi j’ai bien mémorisé chaque trait de ton visage. On m’a laissé voir le corps d’Ellie à la morgue. Tu étais là. En train de recevoir des félicitations. Et vas-y qu’on te serrait la main. « Bravo adjudant », « Quelle belle prise ». Ellie n’était qu’un moins que rien pour toi. Mais pour moi, il était tout.

Mathilde réussit enfin à recoller les morceaux. La scène lui revint de façon soudain très nette. Elle était devant l’institut médico-légal de Strasbourg. Brice était à ses côtés. Le préfet était venu et l’avait personnellement saluée. Elle venait d’arrêter LE braqueur de banque qui sévissait sur l’Eurométropole, qu’on appelait encore la CUS à l’époque.

Alexandra/Sofia se planta devant elle.

Ça y est ? Tu me remets maintenant ? Ça fait dix ans que j’attends de me venger. Une décennie que je suis chacun de vos faits et gestes. Je n’aurais pas pensé que l’occasion me serait offerte de vous avoir tous les deux en même temps. Quand j’ai vu dans tes mails que tu avais réservé un week-end ici, je n’en croyais pas mes yeux.

Mathilde n’en revenait pas. Cette fille avait accédé à ses mails ? Elle la suivait depuis dix ans ?

 

Oui, ça y est, je me souviens vous avoir vue devant l’IML*. Je sais qui vous êtes maintenant. Mais lui ? C’est l’agent de sécurité, c’est ça ? Celui que votre mari avait soi-disant attaqué et qui l’a tué ? J’ai toujours cru à sa culpabilité.

Elle se souvenait parfaitement de cette affaire. Elle travaillait à la BTA* de Geispolsheim depuis deux ans quand la série de braquages avait commencé. À chaque fois, les gars, car elle était persuadée qu’ils étaient deux, s’en tiraient sans encombre. Ils vidaient les coffres, pendant la nuit. Les agents de sécurité étaient endormis, les vidéos de surveillance et les systèmes d’alarmes mis hors service. C’était propre, net. Aucune trace n’était laissée. Les gendarmes avaient tout essayé. Lors d’un des braquages qui avaient eu lieu à Geispo, ils avaient trouvé une trace d’ADN. Celle du fameux Ellie, qui était connu de leurs services pour quelques menus larcins commis pendant son adolescence. Mathilde l’avait interrogé avec son supérieur, mais n’en avait rien tiré. Il avait toujours soutenu qu’il avait un coffre dans cette banque et que c’est pour cette raison qu’ils avaient son ADN. C’était vrai bien sûr.

Le gars était assez malin pour prendre un coffre dans chacune des banques qu’il ciblait. Il venait ouvrir son coffre la veille ou quelques jours avant chaque braquage. Ainsi, il repérait les lieux et se couvrait au cas où. Personne n’était dupe que ce n’étaient pas des coïncidences, mais rien ne permettait de prouver quoique ce soit. Quelques semaines après sa première arrestation, il avait réitéré avec un deuxième braquage dans une banque de Geispo. À croire qu’il cherchait les gendarmes, avait pensé Mathilde à l’époque.  Il avait été réinterrogé mais la demoiselle qui se tenait aujourd’hui en face de Mathilde lui avait fourni un alibi en béton. Elle était toujours en train de parler et Mathilde se concentra sur ce qu’elle disait :

… qu’il avait un complice. Bertrand, je n’ai jamais pu le voir. J’ai toujours dit à Ellie qu’il lui ferait un coup de pute un jour. Je ne me suis pas trompée.

Elle fusilla le patron du regard. Lui ne dit rien, il se contentait de gémir. Sa jambe le faisait souffrir atrocement. Si rien n’était fait dans les prochaines minutes, il allait se vider de son sang dans cette cave. Une grande marre rouge s’étendait déjà à ses pieds.

Et vous savez comment ça s’est passé ? demanda Mathilde.

Elle essayait toujours de gagner du temps, espérant trouver une issue favorable.

Non, souffla Sofia. Je sais qu’ils sont partis faire ce braquage comme d’habitude. Bertrand portait toujours une tenue d’agent de sécurité et était salarié dans plusieurs boîtes de sécu de Strasbourg. En général, ça leur permettait de neutraliser les vrais gardiens. Ensuite, je ne sais pas pourquoi il l’a buté. Mais il va nous expliquer ça, n’est-ce pas ?

Elle planta à nouveau son talon dans la jambe blessée du restaurateur. Il n’avait plus la force de hurler mais, sous la menace de l’arme de service du mari de Mathilde, il s’expliqua :

Ellie avait voulu retourner à Geispo. Je lui ai dit que c’était pas une bonne idée, grogna-t-il tant bien que mal. Cette garce le suivait, j’en étais sûr, je l’avais déjà vue au pied de votre immeuble. Mais il ne m’a pas cru. Il se pensait intouchable. Il a voulu qu’on se fasse le Crédit mutuel. Je me suis arrangé pour y être de garde et on y est allés. On était dans le coffre, en train de se servir, quand, en jetant un œil à l’écran de surveillance que j’avais piraté, je l’ai vue pénétrer dans la banque. J’ai eu deux secondes pour réfléchir. Elle était tout près. J’ai tiré sur Ellie avec mon flingue. Et j’ai pris le sien pour me tirer une balle dans la jambe. Et tout a fonctionné. Les flics m’ont cru, je n’ai jamais été inquiété après ça, soupira-t-il.

Ahah, mais c’était sans compter sur Sofia ! Je n’ai jamais oublié cette journée. Tu aurais au moins pu essayer de m’amadouer avec du fric, mais même pas. Tu as été un chien jusqu’au bout. Tu as tout gardé pour toi.

Je suis désolé, sanglota le malfrat. J’ai encore plein d’argent, je peux tout te donner si tu veux. Laisse-moi juste mon hôtel, je m’en contenterai.  

Sofia éclata de rire.

Tu es sérieux ? Tu crois que j’ai l’intention de vous laisser sortir d’ici vivants ? Jamais ! Vous avez ruiné ma vie, tous les deux. Vous avez pris celle de mon amour. Vous mourrez ici, dans cette cave.

 

*

 

Mathilde était maintenant affolée. Malgré le froid qui régnait, de grosses gouttes de sueur coulaient le long de sa colonne vertébrale. Comment allait-elle s’en sortir ? Elle ne voulait pas mourir ici. Elle priait pour que Brice se réveille.

Pour l’instant, la fille s’occupait plutôt de l’ancien acolyte de son défunt mari.

Mais avant que je te liquide, tu vas me dire où est l’argent et comment le récupérer.

L’homme sur sa chaise continuait à sangloter. Sofia s’accroupit devant lui. Il murmurait et Mathilde ne pouvait comprendre ce qu’il disait, mais elle voyait la fille prendre des notes sur son téléphone. Il crachait probablement le morceau. Une fois que ce serait fait, Mathilde supposait qu’elle l’éliminerait.

Comme pour lui répondre, Sofia se releva à cet instant. Elle se dressa face au type et lui dit :

Regarde-moi !

Il ne releva pas la tête.

Allez ! Tu as été assez courageux pour buter ton ami de sang-froid afin de sauver ta peau. Alors aies le cran de regarder sa femme te rendre la pareille.

Celui qui s’était racheté une conduite en faisant l’acquisition de cet hôtel, tout en écoulant tranquillement l’argent de ses braquages passés, afin de se payer une retraite sous des cieux plus cléments, leva les yeux vers son bourreau. Elle le fixa et sans hésiter, appuya sur la détente. La balle alla se loger en plein cœur, et la tête du type retomba pour la dernière fois sur sa poitrine.

Le bruit du tir résonna à nouveau dans toute la pièce. Mathilde priait pour qu’il fut assez fort pour réveiller quelqu’un dans l’hôtel. Elle n’avait aucune idée de l’heure qu’il était. Aucune lumière extérieure ne filtrait à cet endroit. Elle ne pouvait donc savoir si c’était toujours la nuit ou si le jour s’était levé.

Brice, réveille-toi, supplia-t-elle intérieurement. 

Me voilà enfin débarrassée de lui, soupira Sofia en venant se planter devant Mathilde. À nous deux maintenant. Ma petite gendarme fouineuse. Tu es une sacrée teigne toi, tu le sais ? Si tu n’avais pas suivi mon mec, tu ne les aurais jamais surpris. Tu n’étais même pas en service, je crois. Tu faisais ça sur ton temps perso. Il faut vraiment ne pas avoir de vie pour harceler comme ça ses concitoyens.  

Mathilde ne put se retenir de lui répondre :

Ses concitoyens ! Je ne suivais pas non plus le premier venu. Ton gars était un braqueur multirécidiviste.

Tais-toi !

La colère et la peur l’avaient fait passer au tutoiement et à un ton agressif, mais lui rentrer dedans n’était visiblement pas la bonne méthode. Mathilde se reprit et changea de stratégie :

Comment tu as fait pour accéder à mes mails ?

Oh, ce n’est pas très difficile. Vous êtes un peu cons les gendarmes quand même. Vous devez bien savoir qu’une boîte mail peut être piratée facilement ?

Mathilde eut l’impression d’entendre un bruit qui venait du fond de la pièce, du côté des escaliers. Elle masqua la lueur d’espoir qui renaissait dans ses yeux et approuva d’un signe de tête les paroles de l’autre. Celle-ci continua. Elle n’avait rien remarqué.

Moi je n’y connais rien en piratage. Mais j’ai demandé à un vieil ami d’Ellie. Il était ravi de me rendre ce service. C’était un mec bien, Ellie. Tout le monde l’aimait. Quoiqu’il en soit, il m’a donné un accès illimité à tous tes mails. Je les lisais tous les soirs. C’était pourtant d’un ennui mortel. À part quelques échanges avec ton mari. C’est chaud entre vous ! J’avais le même genre de relation avec Ellie. Il lui ressemblait un peu d’ailleurs, ajouta-t-elle, rêveuse, avant de poursuivre son récit. Quand j’ai vu que tu réservais ce week-end de Saint Valentin ici, je n’en revenais pas. L’occasion que j’attendais depuis dix ans m’était servie sur un plateau. J’en aurais deux pour le prix d’un.

Mathilde répondit, feignant l’admiration :

Je t’accorde que tu t’es bien débrouillée dans l’organisation de ta vengeance.

Puis elle ajouta :

Tu as juste oublié un détail.  

Un voile de doute passa dans les yeux de la fille. Mathilde se risqua à lever les yeux vers le miroir du buffet, comme elle l’avait fait une minute plus tôt. Elle eut confirmation de ce qu’elle avait cru voir. La fille pesta :

Je n’ai rien oublié du tout. N’essaie pas de m’embrouiller.

Si si, crois-moi. Tu n’as pas pensé à une chose, expliqua-t-elle. Une gendarme, si elle organise une fête surprise pour les quarante ans de son mari, gendarme lui aussi, elle n’utilise pas sa boîte mail perso. Ce serait beaucoup trop risqué.

Sofia la fixait d’un air interloqué. Elle ne comprenait pas où elle voulait en venir. Mathilde poursuivit :

Elle se sert du mail de sa meilleure amie pour commander le traiteur, pour prévenir l’hôtelier que le week-end en amoureux n’est qu’un prétexte. Elle s’en sert aussi pour lancer les invitations pour le dimanche midi.

Sofia ne comprenait toujours pas, alors Mathilde lui porta l’estocade finale :

Ce que j’essaie de te dire, c’est qu’à l’heure qu’il est, il doit y avoir au moins une vingtaine de gendarmes présents dans l’hôtel.

Elle bluffait bien sûr. Il était vrai que beaucoup de gendarmes devaient arriver pour le repas du midi, mais si elle avait vu plusieurs ombres se déplacer dans l’entrée de la pièce, elle n’avait aucune certitude qu’il s’agissait bien de ses collègues. Par chance, son ton fut suffisamment assuré pour que Sofia baisse la garde. Ses bras tombèrent le long de son corps, elle ne visait plus Mathilde. Elle était toujours postée à une cinquantaine de centimètres devant elle, et la regardait, bouche ouverte.

Mathilde ne lui laissa pas le temps de trop réfléchir, elle pencha sa chaise légèrement vers l’arrière pour prendre son élan puis se laissa tomber en avant, bousculant son assaillante qui ne réagit pas. La vision de ce qui arrivait vers elle l’avait laissée figée. Elle avait vu Brice entrer. Il était suivi de deux ou trois hommes, arme au poing, mais en tenue de fête : cravate, costumes, chemises colorées ; et d’une femme en robe de soirée et talons aiguilles. Sofia n’eut pas le temps de voir si d’autres suivaient avant de s’écrouler, les jambes fauchées par la charge de Mathilde.  Elles roulèrent toutes deux sur le sol.

Mathilde était toujours attachée à la chaise et elle sentit une forte douleur dans son épaule, mais elle ne s’en inquiéta pas. Elle voulait d’abord s’assurer que son assaillante était hors d’état de nuire, même si elle ne pouvait pas faire grand-chose. Ses mains étaient toujours collées à son corps par les cordes qui lui brulaient la peau, et elle ne pouvait que ramper lamentablement. Les petits cailloux et la poussière du sol de la cave s’incrustaient dans ses genoux, ses poignets, ses joues. Elle tourna la tête et vit son mari. Elle nota qu’il portait la même tenue que la veille. Il avait dû jeter sur son dos les premiers vêtements qui lui passaient sous la main.

Elle le regarda se ruer sur la femme qui tentait de se relever. Il la plaqua au sol et l’entoura de ses bras pour bloquer ses mouvements, et lui prit des mains son pistolet. Ses collègues l’entourèrent rapidement et l’aidèrent à se redresser. Un des hommes prit le relais avec Sofia qu’il menotta, permettant à Brice de s’occuper de sa femme. Il souleva Mathilde et sa chaise et les remirent dans une position plus adaptée. Mathilde avait le visage couvert de poussière. Des larmes dessinaient sur ses joues des sillons plus clairs, au milieu de la saleté. Brice la prit maladroitement dans ses bras. Quelqu’un tendit un couteau à Brice qui découpa les liens qui enserraient Mathilde. Elle réussit à se mettre debout, malgré ses jambes tremblantes, et elle se lova dans les bras de son mari.

Il y a longtemps que je n’ai pas été aussi contente de te voir arriver, glissa-t-elle avec un sourire au milieu de ses larmes.

Brice s’écarta légèrement d’elle, il releva sa tête pour qu’elle le regarde et lui dit :

J’ai eu tellement peur. Quand je me suis réveillé dans cette chambre. Tu n’étais pas là, alors qu’aucun de tes vêtements n’avaient bougé. Et je me sentais tellement mal. J’ai tout de suite compris qu’il y avait quelque chose d’anormal.

La jeune femme en robe de soirée s’approcha d’eux. Elle passa sa main sur la joue de Mathilde.

Ça va ma belle ? Elle ne t’a rien fait ?

Mathilde secoua la tête.

Non, mais ça s’est joué à très peu ! À quelques minutes près, vous me retrouviez dans le même état que lui, lança-t-elle en désignant du doigt le patron de l’hôtel.

Suivant du regard son collègue qui allait prendre le pouls de l’homme, elle ajouta :

Inutile d’appeler une ambulance, je le crains. 

Elle regarda à nouveau son mari et lui dit :

Qu’est-ce qui s’est passé après ton réveil ?

Tout est allé très vite. J’étais en train de faire le tour de la chambre pour vérifier que tu n’y étais pas quand on a frappé à la porte. C’était Michael et Franck. Je n’ai pas compris ce qu’ils faisaient là.

Un des deux concernés poursuivit le récit, tout en maintenant fermement devant lui Sofia qui gardait la tête basse et ne cherchait même pas à lutter :

Quand on est arrivés à l’hôtel, on était surpris. Le serveur était en panique. Il disait que son patron avait disparu, que rien n’était prêt pour le repas du midi. Il était persuadé qu’il s’était passé quelque chose. Il nous a dit qu’il se sentait comme s’il avait avalé une boîte de somnifères avant de se coucher.  Heureusement qu’on est partis tôt ce matin comme prévu, et que la neige tombée hier soir avait déjà fondu. Sinon, je ne sais pas ce qui aurait pu se passer.

 

C’est clair, enchaîna Brice. Pourquoi cette dingue en avait-elle après vous ? 

Ce fut le seul moment où Sofia eut une réaction. Elle s’agita entre les mains de Franck qui la tenait fermement et fusilla Brice du regard, avant de fixer une nouvelle fois le sol.

C’est une longue histoire, soupira Mathilde. Mais finissez d’abord de m’expliquer comment vous m’avez trouvée. Et ensuite, je ne serais pas contre un café avant de vous raconter tout cela.

Oui, bien sûr. Pardon ma chérie, dit Brice en l’embrassant et en l’asseyant à nouveau sur sa chaise. Franck, Michael et Kelly sont venus toquer à notre porte pour savoir si on avait entendu quelque chose. Le serveur avait l’air en panique. Il faut dire que la cuisine n’avait pas été nettoyée depuis hier, et il nous a dit que ce n’était pas du tout normal. Ils m’ont rapidement expliqué pourquoi ils étaient là. Puis je leur ai dit que tu n’étais pas dans la chambre quand je m’étais réveillé. Et qu’aucun vêtement ne manquait. Je doutais que tu sois sortie de la chambre en pyjama.

Brice s’est habillé. On est retournés tous ensemble à l’accueil. On a commencé à chercher partout dans l’hôtel, mais le bâtiment est immense, alors on s’est séparés et on a appelé des renforts.

Et puis on a entendu un coup de feu. Il était clair qu’il venait d’un sous-sol. Du coup, on est tous revenus en courant jusque dans l’entrée. On a demandé au serveur ce qu’il y avait en bas et on est allé récupérer nos armes dans les voitures. Quand on a entendu un deuxième coup de feu, on s’est précipités. La suite, tu la connais.  

Quelle chance que vous soyez arrivés au bon moment, souffla Mathilde. Allez, remontons. J’ai besoin de manger et boire quelque chose, sinon je vais m’écrouler.

Allons-y, approuva Brice en l’aidant à se relever et en la tenant par le bras.

Il fit un pas puis s’arrêta brusquement, obligeant les autres à faire de même. Il se tourna vers sa femme, la regarda dans les yeux et dit :

Avant qu’on quitte cet endroit et que tu nous expliques ce qui s’est passé, je voudrais que tu me promettes une chose ma chérie.

Dis-moi, répondis Mathilde, surprise.

Promets-moi, s’il te plait, de ne plus jamais m’organiser de week-end en amoureux !

 

*