jeudi 8 mars 2018

Services publics, ambivalence et stratégie

Même en n'étant pas fan de l'actuel gouvernement, on ne peut pas nier son intelligence et ses capacités de communication hors du commun. Peut-être même serait-il plus juste d'appeler cela des capacités de manipulation ?

Communication, manipulation, la frontière est mince.

L'exemple de la SNCF est criant :

1- Lancer dans les médias un rapport annonçant des réformes colossales : remise en cause du statut des cheminots, suppression des petites lignes. Une attaque en règle des zones rurales, déjà mises à mal par bien d'autres actions.
2- Levée de boucliers générale dans les médias et sur les réseaux sociaux : on ne peut pas toucher aux petites lignes, c'est la casse du service public !
3 - Publier dans la même période, douze autres rapports et projets de lois envisagés qui feront bondir chacun en fonction de ce par quoi il est concerné : limitation de vitesse, réforme de la formation professionnelle, réforme de l'assurance chômage, contrôle renforcé des chômeurs, interdiction du portable en collège, réforme du bac, réforme de l'entrée à l'université, réforme constitutionnelle, âge du consentement sexuel, loi sur le harcèlement, abandon du projet NDDL, glyphosate...  et j'en passe parce que, franchement, je n'arrive plus à suivre au rythme où vont les annonces. Mais c'est le but du jeu : noyer les poissons que nous sommes dans un flot continu, ininterrompu, jusqu'à nous faire boire la tasse. 
4- Laisser les syndicats SNCF montrer les dents et promettre des grèves à rallonge si on touche au service public et, accessoirement, à leur statut.
5- Revenir quelques jours plus tard et lancer, que non, le rapport en question ne serait absolument pas suivi parce que, le méchant rapport, il voulait supprimer les petites lignes SNCF alors que le gentil premier ministre, lui, il veut protéger les zones rurales.
6- Lancer nonchalamment que par contre, le rapport, il sera suivi pour que ce qui est du statut des cheminots parce que, non, vraiment, en l'état actuel des choses, l'état ne PEUT pas laisser des salariés avec de tels privilèges alors que dans le privé, les autres triment et n'ont pas les mêmes avantages exorbitants que les cheminots.
7- En remettre une couche en ajoutant que cette réforme est tellement urgente que le gouvernement utilisera les ordonnances pour la faire passer plus vite.
8- Laisser mijoter un bon moment en remuant de temps à autre.

Recette d'une efficacité redoutable et qui a admirablement fonctionné. Les syndicats continuent à promettre une grève, sont d'autant plus fâchés que toute possibilité de dialogue est rompue par la promesse des ordonnances. Et l'opinion publique a tranché : les cheminots sont les méchants privilégiés, ils sont prêts à "prendre le pays en otage" pour garder leurs avantages alors que le problème des petites lignes n'en est plus un (il semblerait bien que les régions récupèrent le bébé et les frais qui vont avec et risquent donc de devoir malgré tout fermer quelques lignes mais ça c'est à peine abordé. On s'en fout, l'état ne sera pas coupable le cas échéant).

Lisez les commentaires sur la plupart des articles traitant du sujet, les avis sont quasiment unanimes : il faut supprimer les privilèges des cheminots. On ressort la prime charbon, la retraite à 50 ans, les salaires exorbitants...
Mission accomplie. Si les cheminots se mettent en grève, ils auront à dos toute la population. La révolte est tuée dans l'œuf. Les sondages sont implacables et révèlent que près de 70% des français sont favorables à la fin des recrutements des cheminots avec l'actuel statut.

Etrange comme chacun préfère enfoncer la tête de son voisin un peu plus profondément dans la sable plutôt que d'essayer tous ensemble d'en sortir. Est-ce que vraiment personne ne se dit qu'il serait mieux que les statuts de chacun soient tirés vers le haut plutôt que d'espérer que ceux qui sont mieux lotis que soi, le seront moins demain ?

Avons-nous oublié totalement les valeurs d'entraide et de solidarité ? Sommes-nous capables de nous mobiliser uniquement parce que la limitation de vitesse va être baissée à 80 km/h ? Nous assistons à des manifestations régulières sur le sujet. Des maires, des conseillers départementaux se mobilisent pour porter la parole de leurs concitoyens.

On est donc bien capable de faire entendre notre voix quand on le veut.

Et pourtant, les protestations des personnels des EPHAD et hôpitaux se sont rapidement taries. Une semaine et puis s'en vont. Il est vrai que nous ne sommes pas concernés, personne ne risque de se retrouver hospitalisé demain ou d'aller en maison de retraite dans 10, 20 ou 30 ans.

Et pourtant, les mouvements des gardiens de prison se sont rapidement taris. Un peu de sous et on n'en parle plus. Il est vrai que nous ne sommes pas concernés. La réinsertion des personnes actuellement en prison n'a aucun effet sur nous. Ce n'est pas du tout l'endroit idéal pour que les jeunes se fassent tournés la tête par des prophètes auto-proclamés. Et puis, les récidives ça n'arrive jamais et notre système carcéral est au top alors pourquoi on s'en inquiéterait ?

Et pourtant, les protestations des chômeurs, quand tomberont les réformes de l'assurance-chômage, ne trouveront pas de soutien. Il est vrai que les chômeurs sont tous des fainéants, des assistés qui profitent d'un système qui les pousse à rester à la maison parce qu'ils y sont tellement bien payés ! Chassons les fraudeurs, contrôlons-les, c'est tellement cool d'être au chômage, il est normal de se décider à se sévir.

Et pourtant, les grèves des fonctionnaires qui se profilent pour fin mars, seront à coup sûr très mal vues. Encore des privilégiés ! Il est vrai que les profs, ils n'en fichent pas une, sont toujours en vacances et se plaignent tout le temps. 

Et pourtant, et pourtant ... quand les services publics se retrouvent dématérialisés, quand tout doit se faire sur internet, quand la permanence de la CAF, de la sécu, de pôle emploi, ferme soudainement ou quand les classes sont supprimées dans les campagnes, c'est le drame. Le service public, détesté jusque là, prend d'un coup tout son sens. Elle est là l'ambivalence : le service public, on en hait les salariés, on les critique, on pointe leur inutilité et on se plaint quand il n'est plus là...

Peut-être serait-il intéressant de prendre le problème à l'envers ? D'essayer tous ensemble de garder nos services publics tels qu'ils sont ? De travailler ensemble à ce que chacun ait un niveau de vie décent : salariés du privé et du public, chômeurs, bénéficiaires du RSA ? De chercher des solutions qui servent à tous ? De se trouver un but commun plutôt que de nous laisser monter les uns contre les autres ?

Oui, je sais, je suis utopique. Et encore utopique, c'est gentil. Je pourrais utiliser plein d'autres termes : Vieux-jeu ? Réac ? Populiste (terme à la mode désignant tout ce qui s'oppose de près ou de loin au libéralisme et au capitalisme et tente de proposer des solutions alternatives) ? Bobo-gauchiste ? Tant pis, j'assume ...

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